Traitement des carcinomes in situ du sein

Traitement des carcinomes in situ du sein

- décembre 25, 2017
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Le carcinome canalaire in situ ou carcinome “intra canalaire” – Définition

Le carcinome intra canalaire (CIC) correspond à la prolifération épithéliale comportant des critères de malignité et restant enclos à l’intérieur des canaux galactophoriques ou des lobules, sans dépasser la membrane basale.

Il est aussi appelé carcinome canalaire in situ (CCIS) ou ductal carcinome in situ (DCIS) dans la terminologie anglo-saxonne.

Ils sont encore trop souvent source de mammectomies et on en arrive au paradoxe de traiter de façon conservatrice les carcinomes infiltrants et de proposer une mastectomie en cas de cancer in situ…

 

Le dépistage du carcinome canalaire in situ

La généralisation du dépistage et de la mammographie entraîne une augmentation du nombre de carcinomes intra canalaires du sein. Actuellement, plus de 20 % des tumeurs mammaires malignes appartiennent à la famille du carcinome intra canalaire alors qu’ils ne représentaient que 5 % il y a 20 ans.

Leur dépistage repose donc sur la mammographie qui les détecte sous forme de microcalcifications. Son incidence est en constante augmentation dans les pays développés. Pratiquement tous les carcinomes canalaires infiltrants surviennent à partir de CIC.

 

La définition anatomo pathologique du carcinome canalaire in situ

La définition est la suivante: il s’agit de la prolifération de cellules ayant tous les caractères de la malignité mais demeurant encloses à l’intérieur des canaux galactophoriques, sans aspect de pénétration de la basale en microscopie optique. Il peut prendre son point de départ en n’importe quel point de l’arbre galactophorique mais naît le plus souvent dans l’unité terminale ductulo lobulaire.

La relecture des lames par plusieurs pathologistes est parfois nécessaire, compte tenu de difficultés diagnostiques potentielles avec les hyperplasies atypiques et les lésions de micro-infiltration. Sous cette dénomination sont regroupées des lésions de morphologie très hétérogène, l’absence de franchissement de la basale étant l’élément clé distinguant le caractère in situ du caractère micro infiltrant ou infiltrant.

Il suscite trop fréquemment des mammectomies inutiles, étant donné l’efficacité du couple chirurgie conservatrice et radiothérapie (avec tous les effets secondaires associés à la radiothérapie).

 

L’évolution du carcinome canalaire in situ

L’évolution n’est pas univoque Le CIC est considéré comme le stade de développement le plus précoce du cancer du sein. Mais tous les cancers invasifs ne sont pas précédés par un CIC et à l’inverse, un CIC peut rester en l’état pendant de nombreuses années. Il est impossible de connaître ceux qui sont susceptibles de dégénérer. La taille et le type histologique ont un rôle à jouer.

Les éléments conditionnant l’apparition d’un cancer infiltrant constituent une succession d’événements: aux proliférations bénignes succède l’hyperplasie atypique, le CIC et le carcinome infiltrant, sous l’influence de toute une série d’interactions complexes.

 

Le diagnostic du carcinome canalaire in situ

1. L’examen clinique du carcinome intra canalaire

Il s’agit d’une découverte mammographique car le CIC est le plus souvent asymptomatique.

Dans de rares cas, la lésion se présente comme un nodule palpable mais le diagnostic repose surtout sur l’imagerie et la biopsie.

2. L’imagerie du carcinome intra canalaire

La caractéristique radiologique principale du CIC est la présence d’un groupement de microcalcifications visible en mammographie.

L’échographie mammaire aide peu au diagnostic. Les critères d’exérèse de ces microcalcifications ont été basés sur la classification de Le Gal et plus récemment sur l’utilisation de la classification de l’ACR (American College of Radiology) que nous ne détaillerons pas ici.

 

3. L’histologie du carcinome intra canalaire

  • Ponction à l’aiguille : elle n’a aucune indication
  • La Microbiopsie: la microbiopsie permet de prendre suffisamment de tissu pour poser le diagnostic histologique.
  • La Macrobiopsie : qu’il s’agisse du système mammotome, ABBI ou autre, ces types de prélèvements permettent de prélever des cylindres de tissus. Les prélèvements doivent être radiographiés afin de s’assurer qu’ils contiennent les microcalcifications. Si toutes ont été ôtées, il convient de laisser un clip dans le sein afin de pouvoir localiser le site de biopsie en sachant que le clip peut migrer dans près de 20 % des cas. En cas d’échecs ou d’impossibilité de ce type de prélèvement, il faudra alors procéder à une biopsie chirurgicale après repérage stéréotaxique.

 

Les traitements du carcinome canalaire in situ: attention aux idées reçues !

Plusieurs idées reçues sont infondées dès lors qu’on aborde les traitements du carcinome canalaire in situ.

1ere idée reçue: “La mammectomie est l’intervention de référence“, avec une survie de 98 % à 10 ans, car il est parfois difficile d’enlever la totalité du tissu glandulaire et que la récidive est donc possible. Elle doit emporter la plaque aréolo-mammelonnaire.

On en arrivait au paradoxe d’employer une chirurgie radicale mutilante pour une lésion de bon pronostic alors que l’on propose des traitements conservateurs en cas de cancer invasif.

2nd idée reçue: “Le traitement conservateur n’est pas possible“: on a longtemps hésité à proposer un traitement conservateur sur 2 arguments:

  1. La maladie serait d’emblée multicentrique.
  2. Les CIS seraient radio résistants.

Il est désormais clairement établi que cette maladie se propage de proche en proche, de façon segmentaire, en suivant le trajet des galactophores (travaux de Holland). Il s’agit donc d’une maladie multifocale (plusieurs foyers dans le même quadrant) et non multicentrique (plusieurs foyers dans d’autres quadrants).

 

L’Index de Van Nuys (tableau) pour qualifier le carcinome canalaire in situ

Le traitement actuel du CIC repose en partie sur l’index de Van Nuys (IVN), et ce depuis la conférence de consensus de Philadelphie en 1997.

Index de Van Nuys tableau

Il prend en compte 3 paramètres qui vont de 1 à 3 et s’additionnent:

  1. Le score histologique selon Silberstein;
  2. Le score de la taille de la tumeur;
  3. Le score des marges saines.

L’intérêt de cet IVN est triple:

  1. Simplicité;
  2. Valeur pronostique;
  3. Caractère reproductible.

Il est fondamental qu’apparaissent dans le compte rendu anatomo-pathologique les éléments suivants: grade nucléaire, nécrose, polarisation et type architectural.

Il faut aussi préciser la taille, les limites d’exérèse et la topographie des lésions. Il faut examiner un nombre suffisant de prélèvements afin de ne pas méconnaître un foyer micro-invasif.

D’après Lagios, le risque d’invasion est corrélé à la croissance tumorale: 2 % pour les lésions de petite taille mais 29 % pour les lésions de plus de 3 cm.

 

La qualité de l’exérèse du canalaire in situ

L’état des berges de l’exérèse se définit comme la présence de cellules néoplasiques au contact des tranches de section chirurgicale et les marges seront exprimées en millimètre comme la distance séparant les cellules tumorales des tranches de section chirurgicale.

Pour que la pièce opératoire soit analysable, elle doit arriver au laboratoire non fragmentée et orientée avec un prélèvement inclus en totalité. Pour optimiser une exérèse complète avec berges saines, il est impératif de s’assurer de l’exérèse de la totalité du microcalcifications en cours d’intervention par une radio de pièce.

On pourra aussi demander une mammographie postopératoire pour s’assurer de l’absence de micro-calcifications résiduelles. L’examen extemporané de la tumeur est inutile voire nuisible car le diagnostic de micro-invasion ou d’invasion peut être difficile et l’extemporané risque même d’altérer la pièce opératoire.

L’importance (et la qualité) de l’exérèse chirurgicale est fondamentale et il est préférable de recourir à la mammectomie en cas de volumineuse tumeur supérieure à 4 cm, et ce, quel que soit l’IVN. Si une mammectomie est effectuée, elle consistera en l’ablation de la totalité de la plaque aréolo mamelonnaire et de la glande. Le CIC est une indication idéale en cas de mammectomie pour une reconstruction immédiate puisque la chirurgie sera le traitement exclusif avec notamment pas de radiothérapie en sachant que la reconstruction immédiate doit être un choix éclairé de la patiente et non de l’équipe médicale.

En cas de sein de toute petite taille (Entre 30 et 40 mm,), il faut parfois privilégier la mammectomie avec reconstruction immédiate plutôt qu’effectuer un traitement conservateur source de mauvais résultat esthétique. En cas de tumorectomie initiale avec marges envahies, il est impératif de proposer une reprise du lit tumoral.

 

Place du curage axillaire dans le traitement du canalaire in situ

Le taux d’envahissement ganglionnaire en cas de CIC varie de 0 à 2 %. Cela correspond aux cancers micro invasifs ou invasifs passés inaperçus.

Le curage axillaire n’a plus en 2010 aucune indication dans le CIC. Il a été remplacé par la procédure du ganglion sentinelle qui a probablement une place en cas de :

– lésion micro-invasive associée;

– lésion invasive associée;

– volumineux CIC;

– et bien sûr en cas d’indication de mammectomie.

 

Place de la radiothérapie dans le traitement du canalaire in situ

La chirurgie exclusive est source de nombreuses récidives et c’est la raison pour laquelle il est souhaitable d’y associer une radiothérapie (Tableau).

CIC traitement par tumorectomie exclusive

La chirurgie exclusive sans irradiation n’est possible que dans le cadre d’essais contrôlés, pour des petites tumeurs avec marges saines et faible IVN.

L’intérêt de la radiothérapie est de prévenir les éventuelles récidives locales. Deux études montrent une telle efficacité, une Américaine et une Européenne (NSABP et EORTC), dont les résultats sont résumés dans le tableau ci après:

Etude NSABP et EORTC sur interet radiotherapie

La radiothérapie, associée à la chirurgie, permet de diminuer pour plus de moitié le risque de récidive, et ce de façon statistiquement significative. La radiothérapie se fait à la dose de 50 grays et on fait éventuellement un surdosage du lit tumoral de 10 grays en cas d’exérèse limite.

Les seuls cas où l’on peut s’abstenir de radiothérapie sont les CIC de 10 mm ou moins avec un index à 3 dans le cadre d’essais contrôlés. Le traitement conservateur ne s’envisage que pour des petites lésions: les lésions étendues, volontiers multifocales, devront être traitées par mammectomie.

 

Place du tamoxifène dans le traitement du canalaire in situ

L’étude randomisée NSABP B24 a montré que le risque de développer un cancer invasif est significativement plus faible chez les patientes recevant du tamoxifène par rapport au groupe placebo (4.1 % versus 7.2 % p = 0.04), mais il s’agit de la seule étude démontrant son intérêt.

La généralisation de la prescription du tamoxifène chez les patientes ayant eu un CIC n’est pas encore établie.

 

Les risques de récidives du canalaire in situ

Les facteurs de risque de récidive locale sont les suivants:

  • Berges envahies lors de l’intervention initiale+++;
  • Absence de radiothérapie+++ ;
  • Volumineuse tumeur traitée par chirurgie conservatrice+++;
  • Index de Van Nuys élevé;
  • Age jeune.

L’immense majorité des rechutes se fait dans le site de la lésion initiale, probablement du fait d’une exérèse incomplète.

L’étude du NSABP retrouve un taux de récidive après traitement conservateur associé à la radiothérapie de 12 % à 8 ans.

Silberstein, sur 707 patientes, retrouve des chiffres similaires: 74 patientes ont récidivé, dont 35 sur le mode invasif avec 5 décès.

La récidive se fait une fois sur 2 sur le mode infiltrant. Le traitement est alors univoque: il faut effectuer une mammectomie de rattrapage.

La récidive a-t-elle une influence sur la survie?

Les résultats sont discordants:

  1. Etude du NSABP: pas d’influence sur la survie (94 % dans le groupe chirurgie seule contre 95 % dans le groupe chirurgie + radiothérapie);
  2. Etude de Silverstein: sur 707 patientes, il y a eu 74 récidives locales dont 35 invasives, avec 7 évolutions métastatiques et 5 décès, avec une survie à 97 % dans le groupe sans récidive contre 91 % dans le groupe récidive (p<0.05).

Une surveillance rapprochée est nécessaire, en raison du risque de récidive locale, en rappelant qu’en cas de récidive celle-ci se manifeste dans la moitié des cas sous forme infiltrante avec le risque métastatique qui en découle.

Il existe aussi un risque multiplié par 3 de cancer controlatéral.

La surveillance sera uniquement locale par examen clinique (tous les 6 mois) et bilan mammographique et échographique annuel.

Il n’est pas utile de surveiller ces patientes avec les marqueurs tumoraux ou les examens habituellement prescrits pour recherche de métastase.

RÉSUMÉ ET POINTS IMPORTANTS

  1. La mammographie est l’examen de référence pour diagnostiquer un carcinome intra-canalaire et l’IRM n’apporte rien au diagnostic.
  2. Le diagnostic doit être établi en pré opératoire, que ce soit par micro ou par macrobiopsie.
  3. Le diagnostic de CIC impose un traitement chirurgical.
  4. Le traitement chirurgical repose sur une tumorectomie ou une mammectomie, avec dans certaines situations l’exérèse du ganglion sentinelle.
  5. La pièce opératoire doit être orientée et radiographiée en cours d’intervention afin de s’assurer de l’exérèse de la totalité des micro-calcifications et d’aider à une éventuelle reprise du lit tumoral
  6. Il ne sera pas fait d’examen extemporané sur la pièce de tumorectomie.
  7. Un réintervention sera effectuée en cas de positivité des berges, à type de reprise du lit tumoral ou de mammectomie.
  8. Le curage axillaire n’a plus d’indication mais on peut proposer parfois l’exérèse du ganglion sentinelle.
  9. La radiothérapie postopératoire est la règle sauf si une mammectomie a été effectuée.
  10. Le tamoxifène n’a aucune indication validée en pratique courante.

En conclusion

Le traitement conservateur est possible et doit être la règle en cas de carcinome intra canalaire. Il doit être associé à la radiothérapie. On n’insistera jamais assez, comme toujours en chirurgie carcinologique, sur l’importance d’une exérèse complète avec des marges saines. En cas de volumineux CIC, il est préférable d’effectuer une mammectomie, avec éventuelle reconstruction initiale.

Publié par Dr. Eric Sebban
Le Docteur Eric Sebban est chirurgien gynécologue et cancérologue, spécialisé en chirurgie gynécologique, mammaire et cancérologique. [mt-bootstrap-button btn_text="Prendre rendez-vous en ligne avec le Docteur Eric Sebban" btn_url="https://goo.gl/pbV14U" btn_size="btn btn-medium" align="text-left" color="#3498db" border_color="#555555" animation="bounce"]