Selon les études, 5 à 10% des cancers du sein diagnostiqués sont liés à une altération génétique (rapport Inca). Cette altération génétique est appelée mutation. Elle a pour conséquence une diminution ou une surexpression du produit d’un des gènes impliqués dans le cycle cellulaire. Cette dérégulation de l’expression d’un de ces gènes augmente le risque d’altération du fonctionnement de la cellule. Ce dysfonctionnement, s’il n’est pas réparé par la cellule, aboutit à la transformation de cette même cellule en cellule cancéreuse et augmente donc le risque d’apparition d’un amas cellulaire cancéreux soit une tumeur.
Les gènes impliqués dans le cancer du sein génétique
Aujourd’hui, plus de 90 gènes sont impliqués dans l’augmentation du risque du cancer du sein (Pr. Michael Stratton).
Depuis 1990, des gènes de prédisposition au cancer du sein ont été identifiés.
En premier, en 1990 le gène BRCA1 par Mary Claire King puis BRCA2 en 1994. En 2014, un troisième gène majeur PALB2 a été découvert, ainsi que de nombreux autres gènes.
En comparaison au risque majeur de cancer du sein dans la population générale, une femme porteuse d’une mutation d’un de ces gènes a un risque augmenté de développer un cancer du sein à un âge plus précoce, mais aussi une augmentation du risque de développer un second cancer du sein ou d’un autre organe au cours de sa vie.
En effet, les altérations génétiques qui augmentent le risque de cancer du sein sont présentes dans toutes les cellules du corps et peuvent donc aussi entraîner des altérations dans d’autres organes qui ne pourront pas être corrigées et donc entraîneront l’apparition de tumeurs malignes.
Enfin, ces mutations étant présentes dans toutes les cellules, elles le sont aussi dans les cellules reproductrices (ovocytes et spermatozoïdes) et donc transmissibles aux générations suivantes.
Cette information permet d’expliquer l’existence de famille avec plusieurs cas de cancer du sein jeunes, associés à d’autres cancers, chez plusieurs membres.
Le fait qu’un homme soit porteur d’une mutation d’un des gènes de prédisposition au cancer du sein augmente aussi le risque de cancer du sein chez l’homme. De plus, s’il ne développe pas de cancer du sein ou d’un des organes associés, un homme a autant de risque (50%) qu’une femme porteuse de transmettre cette prédisposition à sa descendance.
Avancées technologiques sur la recherche des gènes de prédisposition au cancer du sein
Depuis la découverte des premiers gènes de prédisposition au cancer du sein dans les années 90, de nombreux gènes pouvant être impliqués dans l’augmentation du risque du cancer (90) ont été identifiés. L’étude des gènes de prédisposition est dépendante de l’évolution des techniques en biologie moléculaire.
En effet, les premières techniques permettaient d’étudier les gènes un par un et la séquence d’ADN était vérifiée par les techniciens de laboratoire. Peu à peu, l’informatique et plus particulièrement la bio-informatique a pris une place prépondérante dans l’analyse des séquences d’ADN.
Aujourd’hui, les gènes sont étudiés en panel (plusieurs gènes à la fois) par la technique du séquençage nouvelle génération (NGS).
En ce qui concerne le cancer du sein, en novembre 2107, en France, le Groupe Génétique et Cancer (GGC) a proposé une liste de 13 gènes à étudier en cas de risque héréditaire augmenté chez un patient. Ces 13 gènes ont été choisis, car reconnus d’utilité clinique.
Un gène est reconnu d’utilité clinique quand le risque de cancer du sein ou de l’ovaire qu’il présente est au moins 4 fois supérieur au risque de la population générale. Compte tenu de l’évolution rapide et permanente des connaissances, ce panel sera mis à jour de manière annuelle en fonction des données scientifiques mondiales.
Quelles sont les personnes qui doivent avoir une consultation d’oncogénétique ?
En France, le diagnostic des prédispositions au cancer est piloté par un dispositif national d’oncogénétique. Il existe environ 150 sites de consultation répartis sur le territoire qui travaillent en lien avec des laboratoires en charge de la réalisation des tests génétiques qui sont prescrits pendant les consultations.
Plusieurs éléments peuvent être de bons indicateurs pour demander une consultation d’oncogénétique :
- Le nombre de cancers du sein chez les apparentés du premier et deuxième degré dans la même branche parentale.
- L’âge précoce de survenue du cancer du sein (avant 40 ans)
- L’atteinte mammaire bilatérale simultanée ou décalée
- La présence dans la famille de cancer des ovaires
- La présence dans la famille d’un cancer du sein chez un homme
La consultation d’oncogénétique peut être faite par un oncogénéticien ou par un conseiller en génétique selon les centres.
Son rôle est de recueillir des informations pertinentes :
- Informations médicales (type de cancer du sein, profil hormonal)
- Histoire personnelle (antécédents)
- Histoire familiale
- Origine géographique
Ces informations permettent d’estimer un risque de prédisposition génétique grâce à des barèmes comme le score Eisinger.
En fonction du risque calculé, un test génétique peut être proposé.
Celui-ci peut être proposé au patient ou à l’un des apparentés pour lequel le risque calculé est plus grand.
Ces tests peuvent prendre plusieurs mois et le rendu des résultats doit être effectué en consultation d’oncogénétique.
Qu’une mutation soit identifiée ou non, ces résultats nécessitent une explication ; ne pas identifier de mutation génétique, ne veut pas dire qu’il n’y a pas une augmentation du risque; cela traduit seulement le fait qu’aucune mutation n’a été trouvée dans les gènes étudiés.
Le suivi des personnes à risque dépend de la mise en évidence d’une mutation génétique.
Si celle-ci est trouvée, un suivi adapté est proposé et le cas index a l’obligation légale d’informer sa famille de la disponibilité d’un test génétique.
Cependant, une mutation génétique est identifiée seulement chez 10% des patients testés. Les patients indemnes de mutation génétique, mais présentant des antécédents personnels et familiaux évocateurs, pourront aussi avoir un suivi personnalisé en fonction de l’estimation de leur risque.
D’autres facteurs, comme l’épigénétique nous permettront dans les prochaines années d’affiner la prise en charge.
Quel suivi pour les patients à risque ?
Pour les patients ayant une prédisposition au cancer du sein, on distingue le suivi pour les hommes et les femmes.
Pour les hommes, pas de suivi particulier en dehors d’une autopalpation mammaire et d’un suivi de la prostate dès 40 ans.
Pour les femmes, un programme personnalisé de suivi (PPS) doit être mis en place par l’une des équipes identifiées par l’Inca lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). L’enregistrement de chaque personne porteuse d’une mutation de prédisposition permet de mettre en place un suivi adapté en termes de type d’examen et de chronologie.
Le but du suivi adapté est de diagnostiquer de manière précoce l’apparition de cancer et de mettre en place les mesures thérapeutiques préconisées le plus rapidement possible.
Au-delà d’un suivi à des fins diagnostiques précoces, la question de la chirurgie préventive au niveau ovarien et mammaire peut se poser pour limiter l’apparition de cancer.
En France, actuellement, en ce qui concerne les annexes (ovaires), la chirurgie prophylactique est préconisée une fois le projet parental terminé.
Pour les seins, un suivi annuel par IRM, échographie et mammographie est conseillé, mais la chirurgie prophylactique peut être discutée au cas par cas.
Les nouveaux traitements à l’étude pour les patients avec prédisposition BRCA
Historiquement, la consultation d’oncogénétique était réservée aux personnes ayant une histoire personnelle ou familiale évocatrice.
Depuis la mise en évidence d’une augmentation de survie des femmes présentant un cancer des ovaires et une mutation germinale (dans toutes les cellules du corps) ou somatique (concentrées sur les cellules qui composent la tumeur) d’un des gènes BRCA par traitement par inhibiteur de PARP (Poly ADP Ribose Polymerase), une consultation d‘oncogénétique est prescrite de manière systématique en cas de cancer des ovaires. Cette nouvelle situation a nécessité une adaptation des services concernés.
Devant l’impact positif de ce traitement sur le taux de survie des femmes atteintes d’un cancer des ovaires et porteuses d’une mutation BRCA, il est légitime de se poser la question du taux de survie pour le cancer du sein dont le risque varie au cours de la vie entre 40 et 80% pour une femme porteuse d’une mutation d’un des gènes BRCA.
- Mécanisme :
Un inhibiteur de PARP est un composé chimique qui cible les cellules présentant une surexpression des enzymes de type PARP dont le rôle est de réparer les erreurs de l’ADN lors de la réplication de celui-ci.
La présence d’une mutation BRCA handicape la cellule dans sa réparation. Si on ajoute un inhibiteur de PARP à une mutation BRCA cela augmente le nombre d’erreurs dans la cellule tumorale. Cette accumulation entraînera la lyse de la cellule.
- Étude en cours
En 2016, la FDA a autorisé aux USA un essai clinique par olaparib (inhibiteur de PARP) chez 302 patientes présentant un cancer du sein métastatique HER2- et porteuse d’une mutation BRCA.
Après un suivi de 14 mois, la progression du cancer a diminué de 42%.
Cette étude est un exemple de l’intérêt de développer des traitements qui ciblent des mutations génétiques somatiques ou germinales.
SI l’efficacité de ce type de traitement est reproductible, une consultation d’oncogénétique sera nécessaire pour toutes les femmes présentant un cancer du sein.
Cela entraînera de nouveaux questionnements sur les impacts personnels (risque d’autres cancers), familiaux (transmission de l’information) et gouvernementaux (augmentation du nombre de consultations).
Le Docteur Eric Sebban est chirurgien gynécologue et cancérologue, spécialisé en chirurgie gynécologique, mammaire et cancérologique.